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Channel: Les PARIS d'Alain Rustenholz
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KARL ET FRIEDRICH A PARIS

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En cette annĂ©e du centenaire de la RĂ©volution d’Octobre (1917), certains ont pensĂ© Ă  remonter encore un siĂšcle plus tĂŽt (1818 : naissance de Karl Marx), Ă  la source dont les soviets auraient Ă©tĂ© la rĂ©surgence : au communisme du premier dix-neuviĂšme siĂšcle rĂ©Ă©laborĂ© par le Marx du Manifeste en 1848.
C’est le cas du film de Raoul Peck, le jeune Karl Marx ; c’est celui d’Emmanuel Laurentin et de sa Fabrique de l’histoire (France Culture, Ă  9h), Ă  qui et Ă  laquelle j’ai rĂ©pondu concernant Marx Ă  Paris. Voici rĂ©uni Ă  cette occasion, dĂ©veloppĂ© et prĂ©cisĂ©, ce qui est distribuĂ© Ă  diverses adresses de mon Paris Ouvrier.

Quand, aprĂšs la censure de la Gazette rhĂ©nane, Arnold Ruge et Karl Marx cherchent un endroit d’oĂč lancer une nouvelle publication, le premier Ă©crit au second, en substance : concernant les conditions de libertĂ© de la presse, Bruxelles serait un meilleur choix, mais Ă  Paris il y a 85 000 Allemands ! C’est pour cette bonne raison que Paris sera choisi par l’aĂźnĂ© (il a seize ans de plus que Marx), parce que, Ă  part ça, les progressistes français pressentis lui ont tous refusĂ© leur participation aux futures Annales.
IdĂ©ologiquement, Ă  Paris, ce qui compte chez les ouvriers, c’est, pour les Français le communisme enseignĂ© par Cabet ou DĂ©zamy et, pour les tailleurs, cordonniers, menuisiers du bĂątiment ou Ă©bĂ©nistes allemands, celui qu’incarne Weitling. Le Marx qui arrive Ă  Paris en octobre 1843, - on l’indique ici d’emblĂ©e, il n’est pas qu’idĂ©es, il a 25 ans, il est mariĂ© du 19 juin, sa femme est enceinte de trois mois -, n’a d’affinitĂ©s avec aucun de ces communismes-lĂ . Comme il l’a Ă©crit Ă  Ruge en avril, en Ă©voquant leur projet commun : « Chacun de nous devra bientĂŽt s’avouer Ă  lui-mĂȘme qu’il n’a aucune idĂ©e exacte de ce que demain devra ĂȘtre. Au demeurant c’est lĂ  prĂ©cisĂ©ment le mĂ©rite de la nouvelle orientation : Ă  savoir que nous n’anticipons pas sur le monde de demain par la pensĂ©e dogmatique, mais qu’au contraire nous ne voulons trouver le monde nouveau qu’au terme de la critique de l’ancien. (
) C’est pourquoi je ne suis pas d’avis que nous arborions un emblĂšme dogmatique. Au contraire, nous devons nous efforcer d’aider les dogmatiques Ă  voir clair dans leurs propres thĂšses. C’est ainsi en particulier que le communisme est une abstraction dogmatique. Et je n’entends pas par lĂ  je ne sais quel communisme imaginaire ou simplement possible, mais le communisme rĂ©ellement existant tel que Cabet, DĂ©zamy, Weitling, etc., l’enseignent. »

Les Allemands de Paris se sont organisĂ©s en une Ligue des Bannis dĂšs 1834, Ă  laquelle a succĂ©dĂ© en 1836 la Ligue des Justes. « Le garçon tailleur Weitling », fils naturel d’une cuisiniĂšre de Magdebourg et d’un officier français, a travaillĂ© Ă  Paris en 1835 et en 1837 et s’y est familiarisĂ© en autodidacte avec les idĂ©es de Saint-Simon et de Fourrier. Il a adhĂ©rĂ© Ă  la Ligue des Justes, s’est retrouvĂ© assez vite Ă  son comitĂ© central et s’est vu demander en 1839 la rĂ©daction de son manifeste : « L’humanitĂ© telle qu’elle est et telle qu’elle devrait ĂȘtre».
AprĂšs l’échec de l’insurrection, en mai 1839, de la SociĂ©tĂ© des Saisons (BarbĂšs, Blanqui, Martin Bernard), avec laquelle la Ligue des Justes Ă©tait en contact, Weitling s’est rĂ©fugiĂ© en Suisse romande ; la direction de la Ligue a Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©e Ă  Londres ; Ă  Paris, ce qui reste d’adhĂ©rents de la sociĂ©tĂ© secrĂšte s’est regroupĂ© autour d’un mĂ©decin, de deux ans plus jeune que Marx, Hermann Ewerbeck, et d’un professeur et Ă©crivain de sept ans plus ĂągĂ©, German MĂ€urer.

Octobre 1843 : arrivée de Marx à Paris

Les Marx, jeunes mariĂ©s donc (il a 25 ans, Jenny 29), arrivent 38 rue Vaneau en octobre 1843, dans une maison oĂč habite dĂ©jĂ  German MĂ€urer, et s’y installent avec le couple Ruge et le couple que forment le poĂšte Herwegh et sa femme.
Jenny von Westphalen, Ă©pouse Marx, vers 1835
Le bureau des “Annales franco-allemandes”, la revue que les directeurs-Ă©diteurs Arnold Ruge et Karl Marx sont venus crĂ©er Ă  Paris, sera Ă  quelques numĂ©ros de lĂ , au 22 de cette mĂȘme rue Vaneau. Les Annales n’auront finalement qu’un unique numĂ©ro double, qui paraĂźtra fin fĂ©vrier 1844, auquel auront collaborĂ© Henri Heine et le poĂšte Herwegh, et oĂč Marx a publiĂ© son Introduction Ă  la critique de la philosophie du droit de Hegel, et sa Question juive. En vente au bureau de la revue.

Le 23 mars 1844, se tient un banquet dĂ©mocratique international auquel participent Marx avec Ruge et Bernays ; Louis Blanc, FĂ©lix Pyat, Victor Schölcher, Pierre Leroux ; et encore Bakounine, de passage Ă  Paris et qui, sĂ©duit par la capitale, viendra s’y fixer en juillet.

On date d’avril 44 les premiers contacts de Marx avec la Ligue des Justes. La sociĂ©tĂ© secrĂšte a pour lieux de rencontres le CafĂ© Scherger, 20 rue des Bons-Enfants ; le cafĂ© Gaissier, 46 rue de l’Arbre-Sec, le cafĂ© Schiever, passage Saint-Pierre-Amelot. LĂ , des journaux dĂ©mocratiques sont lus Ă  haute voix, pour tout le monde, par ceux qui savent lire.

Jenny, comme sa mùre, mais qu’ils appelleront plutît par le diminutif de “Jennychen”, la premiùre fille des Marx, naüt au 38 rue Vaneau, le 1er mai 1844.

Un thĂ©Ăątre est le fleuron du passage Choiseul, construit autour de 1825 entre Palais-Royal et Grands Boulevards, l’ancien et le nouveau centre de la vie parisienne. « Quand la pluie, en hiver, s’épanche en cataracte, / Le passage Choiseul sert d’abri, dans l’entracte : / C’est notre vestibule, ou notre corridor, / Ouvert toute la nuit, brillant de gaz et d’or, / TiĂšde et vitré », Ă©crira, trente ans plus tard, le poĂšte et librettiste d’Offenbach, Joseph MĂ©ry.
C’est donc assez naturellement que les frĂšres Börnstein et le compositeur Meyerbeer ont installĂ© Ă  l’angle des 32 (aujourd’hui 14), rue des Moulins et 49, rue Neuve-des-Petits-Champs (aujourd’hui des Petits-Champs), au dĂ©but de 1844, leur VorwĂ€rts, bi-hebdomadaire, c’est son long sous-titre, de « nouvelles de Paris concernant les arts, les sciences, le thĂ©Ăątre, la musique et la vie sociale ». A compter du numĂ©ro du 3 juillet 1844, son nouveau directeur, Karl Ludwig Bernays, abrĂšge tout ça en « revue allemande de Paris ». Bernays (qui habitait 20, rue Saint-Claude) Ă©tait un joyeux drille qui, sur un papier ornĂ© d’une fausse couronne vaguement grand-ducale, inondait les journalistes prussiens d’actualitĂ©s fantaisistes concernant la prospĂ©ritĂ© nouvelle de la pĂȘche hauturiĂšre qu’encourageait son Altesse, dans un prĂ©tendu port de mer qui Ă©tait en rĂ©alitĂ© un village de haute montagne, ou encore sur la remise, toujours par son Altesse elle-mĂȘme, de la plus importante des dĂ©corations Ă  tel gĂ©nĂ©ral mort en rĂ©alitĂ© depuis deux bons siĂšcles. Le filigrane pseudo-noble suffisait Ă  ce que la presse rĂ©percutĂąt ces informations rocambolesques sans prendre la peine d’une vĂ©rification. C’est Bernays qui va, dans le VorwĂ€rts, faire une large place Ă  l’opposition radicale des Annales franco-allemandes de Marx et Ruge. Plusieurs fois par semaine, dans un appartement du premier Ă©tage saturĂ© de fumĂ©e, les rĂ©unions de rĂ©daction regroupent, une douzaine de personnes dans des discussions passionnĂ©es qui s’éloignent de plus en plus des questions artistiques. Bakounine loge sur place, dans une chambre meublĂ©e d’un lit de camp, d’une malle et d’un gobelet en Ă©tain, oĂč les dĂ©bats se prolongent.
« Outre Bernays et moi-mĂȘme, qui Ă©tions les rĂ©dacteurs, raconte Heinrich Börnstein dans ses mĂ©moires, Ă©crivaient pour le journal Arnold Ruge, Karl Marx, Heinrich Heine, Georg Herwegh, Bakounine, Georg Weerth, G. Weber, Fr. Engels, le Dr Hermann Ewerbeck, et Heinrich BĂŒrgers ». Et il en oublie quelques-uns, dont German MĂ€urer, soit une douzaine de personnes, pour ne rien dire des discussions qui sont menĂ©es par ailleurs avec Proudhon, Louis Blanc, le typographe Pierre Leroux (avec lequel George Sand avait crĂ©Ă© la Revue indĂ©pendante trois ans plus tĂŽt), ou Victor ConsidĂ©rant, le disciple de Fourier.
Marx étudiant, vers 1840, déjà surnommé Le Maure

L’ambassade de Prusse allume aussitît un contrefeu avec la parution du “Pilote germanique”, Der deutsche Steuermann, au 87 puis 51 rue Saint-Antoine.

C’est dans ce nouveau VorwĂ€rts, le 10 aoĂ»t 1844, que Marx vante les Garanties de l’harmonie et de la libertĂ©, publiĂ© par « le garçon tailleur Weitling » en 1842 : « Pour ce qui est de la culture des ouvriers allemands ou gĂ©nĂ©ralement de leur capacitĂ© Ă  se cultiver, je rappellerai l’Ɠuvre gĂ©niale de Weitling, qui dĂ©passe souvent Proudhon lui-mĂȘme au point de vue thĂ©orique ». « OĂč trouve-t-on dans la bourgeoisie, y compris chez ses thĂ©oriciens et ses scribes, un ouvrage comparable Ă  celui de Weitling ? Si l’on compare la pĂąle mĂ©diocritĂ© de la littĂ©rature politique allemande avec cette Ɠuvre immense et brillante qui marque les dĂ©buts littĂ©raires de l’ouvrier allemand, si l’on compare ces bottes de gĂ©ant d’un prolĂ©tariat encore dans l’enfance avec les minuscules souliers Ă©culĂ©s de la bourgeoisie, on peut lĂ©gitimement prĂ©dire Ă  ce fils oubliĂ© de l’Allemagne une stature d’athlĂšte. » « Il faut reconnaĂźtre que le prolĂ©tariat allemand est le thĂ©oricien du prolĂ©tariat europĂ©en, Ă©crira-t-il ailleurs, de mĂȘme que le prolĂ©tariat anglais en est l’économiste et le prolĂ©tariat français le politique. »

C’est rue Vaneau que Marx a entrepris ses “manuscrits de 1844”. De lĂ  qu’il Ă©crit Ă  Feuerbach, le 11 aoĂ»t 1844, lui joint deux articles du VorwĂ€rts, lui indique que son Essence du christianisme est en traduction Ă  Paris, se rĂ©jouit de ce que “l’irrĂ©ligiositĂ© a pĂ©nĂ©trĂ© dans le prolĂ©tariat français”. “Il aurait fallu, ajoute-t-il, que vous ayez pu assister Ă  une des rĂ©unions des ouvriers français pour pouvoir croire Ă  la fraĂźcheur primesautiĂšre, Ă  la noblesse qui Ă©mane de ces hommes harassĂ©s de travail. Le prolĂ©tariat anglais fait Ă©galement des progrĂšs Ă©normes mais il lui manque toujours le caractĂšre cultivĂ© des Français.”

AoĂ»t 1844 : arrivĂ©e d’Engels Ă  Paris
Ce portrait d'Engels est parfois daté des années 1840, parfois de 20 ans plus tard

En ce mĂȘme mois d’aoĂ»t 1844, Engels passe par Paris sur son trajet retour de Manchester Ă  Barmen (aujourd’hui Wuppertal), c’est-Ă -dire de la manufacture cotonniĂšre anglaise dont son pĂšre est actionnaire Ă  celle de la Ruhr dont il est propriĂ©taire. Marx a dĂ©jĂ  croisĂ© le lascar sur son trajet aller, en novembre 1842, Ă  la Gazette rhĂ©nane de Cologne, sans conserver de lui un souvenir inoubliable. Il le retrouve en cette fin d’aoĂ»t, dans un cafĂ© de la rue St-HonorĂ©, peut-ĂȘtre le cafĂ© de la RĂ©gence, situĂ© alors au dĂ©bouchĂ© de la rue Saint-Thomas-du-Louvre sur la rue St-HonorĂ©, lestĂ© d’une connaissance aussi prĂ©cise que concrĂšte de la situation de la classe laborieuse anglaise. Durant prĂšs de deux ans, Engels l’a connue d’en haut – il Ă©tait le fondĂ© de pouvoir de son pĂšre Ă  la filature Ermen & Engels -, et d’en bas : il a rencontrĂ© et aimĂ©, dĂšs 1843, Mary Burns, une fille d’immigrĂ©s irlandais venus de Tipperary, un pĂšre teinturier, une mĂšre morte Ă  ses 12 ans, qui a Ă©tĂ© ouvriĂšre, domestique ou prostituĂ©e, on ne sait, et qui lui a fait connaĂźtre « la Petite Irlande » de Manchester, ce quartier de taudis dont, seul, il avait peu de chances de sortir vivant ou, en tout cas, autrement qu’à poil, et qui l'a introduit par ailleurs dans le mouvement chartiste. Jenny est alors chez sa mĂšre, Ă  TrĂšves, avec Jennychen, qui n’a pas 4 mois ; Marx est donc « cĂ©libataire ». Les deux jeunes gens – Engels a environ 2 ans et demi de moins que Marx -, vont passer pratiquement dix jours Ă  dĂ©battre dans une atmosphĂšre de joyeuse exaltation. « Je n’ai jamais Ă©tĂ© d’aussi bonne humeur ni avec des sentiments aussi humains que pendant les dix jours passĂ©s prĂšs de toi », Ă©crira ensuite Friedrich Ă  Karl. Ils tombent d’accord sur ce que « ce n’est gĂ©nĂ©ralement pas l’État qui conditionne et rĂšgle la sociĂ©tĂ© civile, mais la sociĂ©tĂ© civile qui conditionne et rĂšgle l'État, qu'il faut donc expliquer la politique et l'histoire par les conditions Ă©conomiques et leur Ă©volution, et non inversement. » Ils dressent le canevas de ce qui deviendra la Sainte Famille.
La rencontre dans le film de Raoul Peck

11 janvier 1845 : expulsion de Marx vers la Belgique

En janvier 1845, un arrĂȘtĂ© d’expulsion, demandĂ© par le comte Von ArnimĂ  Guizot, vise au premier chef Börnstein, Bernays, Marx et MĂ€urer, plus cinq autres personnes dont, pour le couvrir, von Bornstedt, le premier rĂ©dac-chef du VorwĂ€rts avant Bernays, qui est un agent du gouvernement prussien. Seuls Marx et von Bornstedt seront finalement expulsĂ©s, Ruge dĂ©niant toute relation avec les gens du VorwĂ€rts, Börstein, quant Ă  lui, semblant avoir promis sa collaboration Ă  la police. Marx quitte Paris pour Bruxelles le 2 fĂ©vrier ; Jenny et Jennychen quelques jours plus tard. A Bruxelles, Jenny verra arriver une servante de sa mĂšre, que celle-ci lui envoie, la jeune HĂ©lĂšne  Demuth  (Lenchen), 25 ans, qui restera toute sa vie auprĂšs du couple Marx.

Engels Ă©crit Ă  Marx, en ce mois de janvier qui voit son expulsion : « Ce qui est particuliĂšrement affreux, c’est d’ĂȘtre non seulement un bourgeois, mais un fabricant : un bourgeois qui intervient activement contre le prolĂ©tariat. Quelques jours passĂ©s Ă  la fabrique de mon paternel ont suffi pour me remettre devant les yeux cette horreur (...) faire de la propagande communiste en grand et en mĂȘme temps du commerce et de l’industrie, ça ne va pas. J’en ai assez ; Ă  PĂąques, je m’en vais. A cela s’ajoute cette existence dĂ©bilitante au sein d’une famille strictement prusso-chrĂ©tienne. »
Dans une autre lettre, du 17 mars 1845, il commente sa vie quotidienne en famille Ă  Barmen oĂč son pĂšre lui fait « une figure de carĂȘme Ă  vous rendre fou ». « Si ce n’était pas Ă  cause de ma mĂšre qui a un beau fond humain (...) et que j’aime vraiment, il ne me viendrait pas un seul instant Ă  l’idĂ©e de faire la plus minime concession Ă  ce despote fanatique qu’est mon vieux. »

Effectivement, en avril, Engels rejoint Marx Ă  Bruxelles. En juillet-aoĂ»t,les deux compĂšres partent pour l’Angleterre (Manchester et Londres), oĂč ils rencontrent les reprĂ©sentants de la « Ligue des Justes » (en pleine crise) et la gauche du mouvement chartiste. Marx y dĂ©couvre aussi cette Mary Burns, - il la dira « agrĂ©able et pleine d’esprit » -, avec laquelle Engels a vĂ©cu sa double vie anglaise, tenant son rang dans le milieu de l’associĂ© de son pĂšre d’un cĂŽtĂ© et, de l’autre, louant sous de faux noms et de fausses professions, tantĂŽt comptable, tantĂŽt voyageur de commerce, des appartements oĂč passer du temps avec elle. C’est au retour de ce voyage que Marx et Engels dĂ©cident de rĂ©diger L’IdĂ©ologie allemande. Engels revient Ă  Bruxelles avec Mary qui y restera, sans doute pas de façon continue, jusqu’en 1848. Mais alors que les deux couples s’aperçoivent Ă  un meeting ouvrier, Marx fait signe Ă  Engels, d’un geste sans Ă©quivoque et d’un sourire dĂ©solĂ©, qu’il n’est pas question qu’il leur prĂ©sente sa compagne ; pour sa Jenny, le concubinage est rĂ©dhibitoire.

Au dĂ©but de 1846, Marx et Engels fondent Ă  Bruxelles un ComitĂ© de correspondance communiste, embryon de coordination des personnes sinon des groupes. Les Anglais acceptent, comme les Allemands de la diaspora en France, mais ni Cabet ni Proudhon ni aucun autre Français n’y participeront.

30 mars 1846 : rupture avec Weitling au cours d’une sĂ©ance du ComitĂ© de correspondance communiste Ă  Bruxelles. RĂ©cit de Pavel Annenkov : Le tailleur et agitateur Weitling Ă©tait un beau jeune homme blond [Il a 10 ans de plus que Marx]. Avec sa redingote de coupe Ă©lĂ©gante, sa barbiche coquette, il ressemblait plutĂŽt Ă  un commis-voyageur qu'Ă  l'ouvrier bourru et aigri que je m'attendais Ă  voir. AprĂšs nous ĂȘtre prĂ©sentĂ©s l'un Ă  l'autre, avec une nuance de politesse raffinĂ©e chez Weitling, nous prĂźmes place Ă  une petite table verte au bout de laquelle vint s'asseoir Marx, un crayon Ă  la main, sa tĂȘte lĂ©onine penchĂ©e sur une feuille de papier, tandis qu'Engels, son insĂ©parable compagnon et associĂ© Ă  la propagande, grand, droit, d'une gravitĂ© et d'un flegme tout britanniques, ouvrait la sĂ©ance en prononçant une allocution. (
) Engels avait Ă  peine terminĂ© que Marx, relevant la tĂȘte, demanda Ă  brĂ»le-pourpoint: « Dites-nous, Weitling, vous dont la propagande a fait tant de bruit en Allemagne, quels sont les principes par lesquels vous justifiez votre activitĂ© et les bases que vous envisagez de lui donner Ă  l'avenir ? » Je me rappelle trĂšs bien la forme brutale de la question (
) Weitling aurait sans doute parlĂ© longtemps encore si Marx, les sourcils froncĂ©s ne l'avait interrompu et n'avait commencĂ© Ă  Ă©lever des objections. Son discours sarcastique se ramenait Ă  ceci, qu'exciter la population sans donner pour base Ă  son action des principes solides et rĂ©flĂ©chis, c'est tout simplement la tromper. Faire naĂźtre les espoirs fantaisistes dont il venait d'ĂȘtre question, poursuivit Marx, conduisait Ă  la perte et non au salut de ceux qui souffrent. En Allemagne surtout, s'adresser Ă  l'ouvrier sans idĂ©es rigoureusement scientifiques et sans doctrine positive, c'est jouer Ă  la propagande, jeu aussi futile que malhonnĂȘte, qui suppose, d'une part, un prophĂšte inspirĂ©, et de l'autre, des Ăąnes l'Ă©coutant bouche bĂ©e. »

Le 05 mai 1846, Marx Ă©crit Ă  Proudhon pour dĂ©noncer Karl GrĂŒn (saint-simonien puis fouriĂ©riste, devenu le porte-parole de l’humanisme feuerbachien auprĂšs de Proudhon dont il s’est proposĂ© de traduire l’Ɠuvre en allemand) comme un personnage « dangereux », en mĂȘme temps qu’il lui demande de participer aux Ă©changes du ComitĂ© de correspondance. Proudhon se dĂ©clare revenu de l’idĂ©e de rĂ©volution : « nous n’avons pas besoin de cela pour rĂ©ussir. » Il se propose de « faire entrer dans la sociĂ©tĂ©, par une combinaison Ă©conomique, les richesses qui sont sorties par une autre combinaison Ă©conomique » Au passage, Proudhon prend la dĂ©fense de Karl GrĂŒn.

15 août 1846, retour de Friedrich Engels à Paris
Engels, Stefan Konarske, en 2017

Engels, AndreĂŻ Mironov, en 1966
A la suite de la rĂ©ponse de Proudhon, Engels est envoyĂ© « en mission » Ă  Paris, le 15 aoĂ»t 1846, pour contrecarrer l’influence de Karl GrĂŒn (et donc de l’humanisme feuerbachien) dans les milieux de l’immigration allemande. Il s’applique dĂšs le dĂ©but Ă  s’assurer du soutien d’Ewerbeck (par ailleurs en rivalitĂ© avec GrĂŒn pour la traduction allemande des Ɠuvres de Proudhon) qu’il parvient Ă  tourner contre GrĂŒn.
Engels est venu habiter au 11 de la rue de l’Arbre-Sec ; il s’est rapprochĂ© des “ours du faubourg”, “des chefs des ouvriers menuisiers”.
Un mois plus tard, le 16 septembre 1846, premier compte-rendu Ă  Marx : « J’ai Ă©tĂ© plusieurs fois en contact avec les ouvriers d’ici, c’est-Ă -dire avec les dirigeants des menuisiers du Faubourg Saint-Antoine. Ces gens-lĂ  ont une organisation particuliĂšre. A part leur histoire d’association - devenue trĂšs confuse Ă  cause d’une importante dissension avec les tailleurs adeptes de Weitling – ces gars, c’est-Ă -dire environ 12 Ă  20 d’entre eux – se rĂ©unissent chaque semaine pour – jusqu’à prĂ©sent – discuter. (...) Ewerbeck a Ă©tĂ© obligĂ© de leur faire des confĂ©rences sur l’histoire allemande depuis les origines et sur une Ă©conomie politique des plus confuse – en somme des Annales franco-allemandesĂ  la sauce humanitaire. (
) Ce qu’ils opposent au communisme des tailleurs, n’est rien d’autre que des phrases creuses et humanitaires Ă  la GrĂŒn et du Proudhon arrangĂ© par GrĂŒn, qui leur ont Ă©tĂ© inculquĂ©es Ă  grand-peine par Monsieur GrĂŒn soi-mĂȘme, en partie par un vieux maĂźtre menuisier trĂšs suffisant et valet de GrĂŒn, le pĂšre Eisermann et aussi par l’ami Ewerbeck. (...) Mais il faut avoir de la patience avec ces types - : d’abord il faut se dĂ©barrasser de GrĂŒn qui a vraiment exercĂ© directement et indirectement une influence Ă©pouvantablement amollissante et ensuite, quand on leur aura sorti ces grandes phrases de la tĂȘte, j’espĂšre arriver Ă  quelque chose avec eux, car ils ont une grande soif de savoir en matiĂšre d’économie. Comme j’ai dans la poche Ewerbeck qui, en dĂ©pit d’une confusion bien connue -qui en ce moment atteint son paroxysme – possĂšde la meilleure volontĂ© du monde et que (l’ébĂ©niste Adolph) Junge est Ă©galement tout Ă  fait de mon cĂŽtĂ©, nous arriverons bientĂŽt Ă  quelque chose. (...) Mais tant qu’on n’aura pas insufflĂ© Ă  nouveau de l’énergie Ă  ces gens en anĂ©antissant l’influence personnelle de GrĂŒn en extirpant ses phrases creuses il n’y aura rien Ă  faire, compte tenu de grands obstacles matĂ©riels (en particulier ils sont pris chaque soir ou presque). »

Lettre du 23 octobre : mission accomplie, aprĂšs cinq jours, ou soirs, de discussion ! « Les diffĂ©rents points litigieux que j’avais Ă  rĂ©gler avec les camarades sont dĂ©sormais rĂ©solus : le principal partisan et disciple de GrĂŒn, le pĂšre Eisermann, a Ă©tĂ© flanquĂ© Ă  la porte, les autres ont perdu toute influence sur la masse et j’ai fait passer Ă  l’unanimitĂ© une rĂ©solution qui les condamne. (...) On a discutĂ© pendant trois jours le projet d’association de Proudhon. Au dĂ©but, j’avais contre moi presque toute la bande, et Ă  la fin il ne restait plus qu’Eisermann et les trois autres partisans de GrĂŒn. Il s’agissait avant tout de dĂ©montrer la nĂ©cessitĂ© de la rĂ©volution violente et de rĂ©futer le socialisme de GrĂŒn, qui a retrouvĂ© une nouvelle vitalitĂ© dans la panacĂ©e proudhonienne, en montrant qu’il est anti-prolĂ©tarien, petit-bourgeois et qu’il s’inspire des utopies des Straubinger [les compagnons du tour d’Allemagne]. A la fin, Ă  force d’entendre Ă©ternellement rĂ©pĂ©ter par mes adversaires les mĂȘmes arguments, je devins furieux et j’attaquai de front les Straubinger, ce qui provoqua l’indignation des partisans de GrĂŒn, mais me permit d’arracher au noble Eisermann une attaque directe contre le communisme. Et lĂ -dessus, je lui rivai son clou de si belle maniĂšre qu’il n’y revint plus. (...) Je dĂ©clarai alors qu’avant d’accepter de poursuivre la discussion, on devait voter pour savoir si nous nous rĂ©unissions, oui ou non, en tant que communistes. Dans le premier cas, il faudrait veiller Ă  ce que des attaques contre le communisme (comme celle d’Eisermann) ne se reproduisent pas. Dans le second cas, s’ils n’étaient que des individus quelconques discutant de sujets quelconques, je ne voulais plus en entendre parler et je ne reviendrais plus. Ce qui provoqua une frayeur intense chez les partisans de GrĂŒn qui se rĂ©criĂšrent qu’ils s’étaient rĂ©unis pour « le bien de l’humanitĂ© », pour s’informer, qu’ils Ă©taient des hommes de progrĂšs et non sectaires, ennemis de tout systĂšme exclusif, etc. ; il n’était vraiment pas possible de traiter d’ « individus quelconques» des braves gens comme eux. Du reste, il leur fallait d’abord savoir ce que c’est rĂ©ellement que le communisme. (
) Je donnai donc des intentions des communistes, la dĂ©finition suivante : 1. Faire prĂ©valoir les intĂ©rĂȘts des prolĂ©taires contre ceux des bourgeois. 2. Atteindre ce but en supprimant la propriĂ©tĂ© privĂ©e et en la remplaçant par la communautĂ© des biens. 3. Pour rĂ©aliser ces objectifs, ne pas admettre d’autres moyens que la rĂ©volution violente et dĂ©mocratique. Nous avons discutĂ© lĂ -dessus pendant deux soirĂ©es. Le deuxiĂšme soir, le meilleur des trois partisans de GrĂŒn, se rendant compte de l’état d’esprit de la majoritĂ©, passa complĂštement de mon cĂŽtĂ©.
Les deux autres ne cessaient de se contredire entre eux, sans s’en rendre compte. Plusieurs types qui n’avaient encore jamais pris la parole, l’ouvrirent tout d’un coup et se dĂ©clarĂšrent rĂ©solument pour moi. (...) Bref, lorsqu’on passa au vote, la rĂ©union se dĂ©clara communiste au sens de la dĂ©finition donnĂ©e plus haut, par treize voix contre les deux voix des deux partisans restĂ©s fidĂšles Ă  GrĂŒn – encore l’un d’eux a-t-il dĂ©clarĂ© par la suite qu’il avait le plus grand dĂ©sir de se convertir. Ainsi avons-nous finalement rĂ©ussi Ă  faire tabula rasa une bonne fois et nous pouvons commencer Ă  faire, dans la mesure du possible, quelque chose de ces gars »
Engels et Marx dans le film de Raoul Peck (capture d'Ă©cran)

En ce mĂȘme mois d’octobre 1846, point culminant d’émeutes de subsistance “comme on n’en a pas connu depuis 1789” selon la RĂ©forme, de nombreux ouvriers allemands sont arrĂȘtĂ©s, qui seront finalement expulsĂ©s. Certains ont dĂ» ĂȘtre trop bavards et Engels, qui a dĂ©mĂ©nagĂ© au 23, rue de Lille, fait Ă©tat en novembre, dans ses lettres Ă  Marx, d’une surveillance policiĂšre. DĂšs la fin de l’annĂ©e, sans cesse pris en filature, il quitte cet appartement et adopte comme adresse postale celle d’A. F. Körner, artiste-peintre, 29 rue Neuve-BrĂ©da (aujourd’hui rue Clauzel, dans le 9e).
Pour Ă©garer les mouchards, il court les bals, passant du bal Valentino (251, rue St-HonorĂ©), Ă  celui du Prado (1, bd du Palais), sans oublier le Montesquieu (au 6, de la rue du mĂȘme nom), et les bras des grisettes comme si ce devait ĂȘtre ses derniĂšres nuits Ă  Paris. « Si je disposais de 5 000 Fr de rentes, Ă©crit-il Ă  Marx, je ne ferais que travailler et m’amuser avec les femmes, jusqu’à ce que je sois lessivĂ©. Si les Françaises n’existaient pas, la vie ne vaudrait mĂȘme pas la peine d’ĂȘtre vĂ©cue. Mais tant qu’il y a des grisettes, va ! Cela n’empĂȘche pas (en français dans le texte) que l’on ait envie de temps Ă  autre de parler d’un sujet sĂ©rieux. » Il rĂ©ussit d’ailleurs Ă  maintenir des contacts avec Cabet, Louis Blanc, Ferdinand Flocon

Ailleurs, Ă©voquant Moses Hess, « passage Vivienne, je l’ai plantĂ© lĂ  bouche bĂ©e pour embarquer avec le peintre Körner deux filles que celui-ci avait levĂ©es. » Ailleurs encore : « Ici Ă  Paris, j’ai adoptĂ© un ton trĂšs cynique, c’est le mĂ©tier qui veut cette esbroufe et ça rĂ©ussit souvent auprĂšs des dames. »

En mars 1847, la police intervient Ă  l’encontre d’une rĂ©union de 150 Ă  200 personnes, ouvriers allemands avec leurs femmes et leurs enfants, qui se rassemblent Ă  la barriĂšre des Amandiers-Popincourt (auj. place Auguste MĂ©tivier), le dimanche depuis quatre ans. Il s’agit d’une de ces rĂ©unions publiques de barriĂšres, destinĂ©es aux sympathisants de la Ligue des justes, sur les dangers desquelles, du fait des mouchards et des policiers, Engels a fait un rapport l’automne prĂ©cĂ©dent. L’ébĂ©niste Adolph Junge y est arrĂȘté ; il sera expulsĂ© ensuite vers la Belgique oĂč il arrivera en avril 47.

Le mois suivant, Engels rĂ©ussit, non sans mal, Ă  se faire Ă©lire dĂ©lĂ©guĂ© de la section parisienne de la Ligue des Justes pour reprĂ©senter celle-ci Ă  son congrĂšs de rĂ©organisation, le 1er juin 1847, Ă  Londres. Les dirigeants londoniens avaient dĂ©pĂȘchĂ© dĂšs janvier l’horloger Joseph MollĂ  Bruxelles puis Ă  Paris pour demander Ă  Marx et Engels d’adhĂ©rer formellement Ă  la Ligue. Ceux-ci avaient posĂ© comme condition que la Ligue cesse d’ĂȘtre une sociĂ©tĂ© conspiratrice pour agir ouvertement dans la sociĂ©tĂ©, et adopte une ligne de pensĂ©e conforme aux acquis du matĂ©rialisme historique. Le congrĂšs de rĂ©organisation devait avoir ce but.
[Dans son ouvrage de Souvenirs, le typographe Stephan BornĂ©crit : « Je me rendis compte qu’il allait ĂȘtre trĂšs difficile de faire nommer Engels, en dĂ©pit de tous ses espoirs. Sa candidature rencontrait une forte opposition. Je ne parvins Ă  assurer son Ă©lection qu’en demandant - au mĂ©pris des rĂšgles - que lĂšvent la main ceux qui Ă©taient contre et non pas pour, le candidat. Aujourd’hui j’ai honte quand je repense Ă  cette ruse abjecte. « Bien jouĂ© », me dit Engels en rentrant de la rĂ©union ».]
La Ligue des Justes se rebaptise à ce congrÚs en Ligue des Communistes. "Le but de la Ligue, c'est le renversement de la bourgeoisie, le rÚgne du prolétariat, la suppression de la vieille société bourgeoise fondée sur les antagonismes de classes et la fondation d'une nouvelle société sans classes et sans propriété privée."

De juillet 1847 à la mi-octobre, Engels réside à Bruxelles. En août 1847, Marx a créé à Bruxelles une section de la Ligue et en a été désigné président ; Adolph Junge participe au bureau.

Engels est de retour Ă  Paris Ă  la fin du mois d’octobre 1847. Le 14 novembre se rĂ©unit le district de Paris de la Ligue. Engels y est Ă©lu comme dĂ©lĂ©guĂ© au congrĂšs de Londres qui doit entĂ©riner les changements esquissĂ©s en juin. Engels Ă  Marx : « Hier soir on a procĂ©dĂ© Ă  l’élection des dĂ©lĂ©guĂ©s. AprĂšs une rĂ©union particuliĂšrement confuse, je fus Ă©lu avec les 2/3 des voix. Cette fois je n’avais pas du tout intriguĂ© n’en ayant d’ailleurs guĂšre l’occasion. »
A la fin de novembre 1847, Marx et Engels participent au 2e congrĂšs de la Ligue des Communistes et sont chargĂ©s d’en rĂ©diger le nouveau programme : ce sera le Manifeste.
Andreï Mironov (Engels) et Igor Kvacha (Marx) dans le film de Grigori Rochal, Une année comme une vie (God kak zhizn), 1966. Sur la table, une pile du Manifeste. L'année dense comme une vie est 1848.

AprĂšs dix jours de CongrĂšs, de retour Ă  Paris, Engels s’en voit expulsĂ© le 29 janvier 48. Il n’est mĂȘme pas sĂ»r que cela soit liĂ© Ă  son activitĂ© politique. Si l’on en croit Stephan Born, son ami le peintre Ritter l’ayant informĂ© qu’un aristocrate avait congĂ©diĂ© sa maĂźtresse sans assurer Ă  celle-ci les dĂ©dommagements nĂ©cessaires, Engels avait menacĂ© de rendre la chose publique et le comte avait saisi la police.

5 mars 1848, retour de Marx Ă  Paris

A peine le gouvernement provisoire de la rĂ©volution de 1848 a-t-il Ă©tĂ© constituĂ©, le 24 fĂ©vrier, que, le 1er mars, Ferdinand Flocon lĂšve la mesure d’expulsion prise trois ans plus tĂŽt et invite le “brave et vaillant” citoyen Karl Marx Ă  retrouver Paris. Telle est du moins la prĂ©sentation avantageuse que l’historiographie marxiste donne de l’évĂ©nement. En fait, « l’invitation » est datĂ©e du 10 mars et Grandjonc montre bien que Marx, expulsĂ© de Belgique au dĂ©but du mois et arrivant Ă  Paris le 5 au petit matin avec pour tout papier son arrĂȘtĂ© d’expulsion belge ainsi que celui, français, datĂ© de fĂ©vrier 1845, va voir le tout frais membre du nouvel exĂ©cutif pour rĂ©gularisation. Sur papier Ă  en-tĂȘte du Gouvernement provisoire, Flocon invite alors tout agent de la force publique Ă  porter aide et assistance au citoyen Marx. La premiĂšre pensĂ©e de la RĂ©volution n’a donc pas Ă©tĂ© de rappeler Marx Ă  Paris, c’est un dĂ©tail.

Marx, Jenny et leurs maintenant trois enfants : Jennychen, Laura et le petit EdgarĂągĂ© Ă  peine d’un an, sont descendus, le 5 mars, Ă  l’hĂŽtel Manchester, rue Grammont, non loin de la Bastille, avant de s’installer au 10 rue Neuve-de-MĂ©nilmontant (aujourd’hui rue Commines). Ils ont dans leurs bagages un millier d’exemplaires du Manifeste du parti communiste, rĂ©digĂ© entre dĂ©cembre et janvier, en allemand, et qui n’a Ă©tĂ© imprimĂ©, Ă  Londres, que dans la deuxiĂšme quinzaine de fĂ©vrier.

DĂšs le lendemain, Marx participe Ă  une importante assemblĂ©e de « dĂ©mocrates allemands» dans une salle Valentino (oĂč Engels avait si souvent dansĂ©) comble, sous la prĂ©sidence du poĂšte Georg Herwegh. On y dĂ©bat d’une Adresse au Gouvernement provisoire mais on y entend surtout, de la part d’Herwegh et de Heinrich Börnstein, l’un des fondateurs du dĂ©funt VorwĂ€rts, on s’en souvient, des discours radicaux appelant Ă  une intervention armĂ©e en Allemagne. Karl Schapper lui-mĂȘme se laisse emporter par l’ambiance et apporte son soutien Ă  ceux qui rĂ©clament qu’on aille porter la libertĂ© en Allemagne les armes Ă  la main.

Herwegh et Adalbert von Bornstedt, cet agent prussien, on s’en souvient aussi, que le gouvernement français avait expulsĂ©, pour le couvrir, en mĂȘme temps que Marx, mettent sur pied une Deutsche Demokratische Gesellschaft (SociĂ©tĂ© dĂ©mocratique allemande) qui placarde dans Paris une affiche appelant Ă  soutenir financiĂšrement une « lĂ©gion allemande » : « DES ARMES ! » « Les dĂ©mocrates allemands de Paris se sont formĂ©s en lĂ©gion pour aller proclamer ensemble la RÉPUBLIQUE ALLEMANDE. Il leur faut des armes, des munitions, de l'argent, des objets d'habillement. PrĂȘtez-leur votre assistance ; vos dons seront reçus avec gratitude. Ils serviront Ă  dĂ©livrer l'Allemagne et en mĂȘme temps la Pologne. »
« Importer, Ă©crira Engels, au beau milieu de l'effervescence allemande du moment une invasion qui devait y introduire de vive force, et en partant de l'Ă©tranger, la rĂ©volution, c'Ă©tait donner un croc-en-jambe Ă  la rĂ©volution en Allemagne mĂȘme, consolider les gouvernements, et - Lamartine en Ă©tait le sĂ»r garant - livrer sans dĂ©fense les lĂ©gionnaires aux troupes allemandes. »

Pour combattre ce risque,  Marx, dĂšs  la premiĂšre rĂ©union, le 8 mars 1848, du comitĂ© central de la Ligue des Communistes, propose de mettre dans les pattes de la SociĂ©té  dĂ©mocratique allemande un Club des travailleurs allemands. La RĂ©forme en annonce la crĂ©ation le 10. Le 11, Marx est Ă©lu prĂ©sident du nouveau C.C. de la Ligue des Communistes, qui compte trois membres de l’ancienne Ligue des Justes (Schapper, J. Moll et H. Bauer) et trois membres de l’ancien ComitĂ© de correspondance bruxellois : Marx, Engels, Wolff ; en prĂ©sence des anglais Ernest Charles Jones et George Julian Harney venus Ă  Paris pour l’occasion.

Le 13 mars, le prince Metternich est renversĂ© et doit s’enfuir de Vienne.

Le 18 mars, alors que les combats commencent Ă  Berlin et que FrĂ©dĂ©ric Guillaume IV va devoir accepter un ministĂšre libĂ©ral et une convocation de la DiĂšte pour le 22 mai, 6 000 Allemands se rĂ©unissent sur les Champs-ÉlysĂ©es. Herwegh en retire 2 000 hommes et quatre bataillons pour sa LĂ©gion dĂ©mocratique allemande.

Engels a rejoint Paris le 21 mars 1848 ; avec Marx, le projet de lancer un nouveau journal en Allemagne, de reprendre la Gazette rhénane, est aussitÎt échafaudé.

Vers  le  27  mars,  Marx  et  Engels  font adopter  par  le  ComitĂ© central de la Ligue un texte  programmatique de  « Revendications  du Parti  communiste  en  Allemagne ».  Le  texte, sous  forme  de  tract,  en  mĂȘme temps que le Manifeste, sera emporté  par  ceux  qui rentrent  en  Allemagne avec le Club des Travailleurs allemands. Outre l’exigence d’une Allemagne constituĂ©e en « RĂ©publique une et indivisible » et celle de  « l’armement gĂ©nĂ©ral  du  peuple »,  l’essentiel  des  revendications porte sur le suffrage universel (masculin), la nationalisation des domaines princiers et fĂ©odaux, des banques  privĂ©es,  des  moyens  de  transport, l’instauration   de   « forts   impĂŽts   progressifs », la sĂ©paration de l’Église et de l’État et « l’instruction  gĂ©nĂ©rale  et  gratuite  du  peuple ».

Les 24 et 30 mars, trois dĂ©tachements de la LĂ©gion dĂ©mocratique allemande, de 500 hommes chacun, drapeaux rouge, noir et or dĂ©ployĂ©s mais sans armes, partent en ordre, sous les acclamations de nombreux Polonais, Belges, Italiens, et aussi Français. Herwegh, Börnstein et Bornstedt doivent suivre le dernier bataillon. Le gouvernement français, - c’est l’allusion Ă  Lamartine dans le texte d’Engels citĂ© plus haut -, a fourni quelque soutien, au moins financier, Ă  leur lĂ©gion.

Le 30 mars, le prĂ©fet de police CaussidiĂšre dĂ©livre Ă  Marx un passeport d’un an, mais en Allemagne, les choses se prĂ©cipitent et Marx-Engels quittent Paris le 6 avril 1848, pour, aprĂšs un dĂ©tour par Mayence qui leur est imposĂ© par l’interdiction de traverser la Belgique, arriver le 10 Ă  Cologne,« la partie la plus avancĂ©e de l’Allemagne », selon les mots d’Engels.

A Cologne, Marx et Engels vont retrouver la ligne politique qu’ils ont combattue en la personne de Weitling puis de GrĂŒn, incarnĂ©e cette fois par Andreas Gottschalk, le « mĂ©decin des pauvres », membre de la Ligue des communistes depuis 1847, prĂ©sident de l’Union ouvriĂšre de Cologne et naturellement influent dans la presse de celle-ci, le Zeitung des Arbeitervereins. Mais la rĂ©volution de 1848 en Allemagne n’est pas notre sujet. On trouvera dans les fascicules 17 et 18,RĂ©volution et contre-rĂ©volution en Allemagne (1) et (2), de Marx, Ă  mesure (http://www.acjj.be/publications/marx-a-mesure/), textes, notes et chronologie.

Aux heures sombres de juin 1848, Friedrich Engels, reporter de la Neue Rheinische Zeitung, dĂ©crit, sur une barricade de la rue de ClĂ©ry, sept ouvriers et deux grisettes rejouant le tableau cĂ©lĂšbre de Delacroix. « Un des sept monte sur la barricade, le drapeau Ă  la main. Les autres commencent le feu. La garde nationale riposte, le porte-drapeau tombe. Alors, une des grisettes, une grande et belle jeune fille, vĂȘtue avec goĂ»t, les bras nus, saisit le drapeau, franchit la barricade et marche sur la garde nationale. Le feu continue et les bourgeois de la garde nationale abattent la jeune fille comme elle arrivait prĂšs de leurs baĂŻonnettes. AussitĂŽt, l’autre grisette bondit en avant, saisit le drapeau  » 
Finalement, le 16 mai 49, le gouvernement prussien interdit de fait la Nouvelle Gazette RhĂ©nane en donnant Ă  Marx l’ordre de quitter le territoire dans les 24 heures, et en lançant un mandat d’arrestation contre Engels le lendemain.
A la Nouvelle Gazette Rhénane, E. Capiro, 1895


3 juin 1849 : second retour de Marx à Paris

« Peu aprĂšs [le 1er juin 49], explique Engels, nous quittĂąmes Bingen et Marx se rendit Ă  Paris porteur d’un mandat du ComitĂ© central dĂ©mocratique [du Palatinat] ; un Ă©vĂ©nement dĂ©cisif Ă©tait imminent et Marx devait reprĂ©senter le parti rĂ©volutionnaire allemand auprĂšs des social-dĂ©mocrates français ».
Marx arrive ainsi Ă  Paris le 7 juin, au 45 rue de Lille, sous le nom de Ramboz. “Paris est morne. À quoi s’ajoute le cholĂ©ra, qui sĂ©vit dans toute sa virulence. MalgrĂ© cela, jamais une Ă©ruption colossale du volcan rĂ©volutionnaire ne fut plus proche Ă  Paris qu’à prĂ©sent. J’ai des contacts avec tout le parti rĂ©volutionnaire
”
Cette Ă©ruption, doit-elle Ă©clater avec la manifestation organisĂ©e pour protester contre l’expĂ©dition militaire française qui a rĂ©tabli le pouvoir temporel du Pape contre la RĂ©publique romaine ? Le 13 juin 1849, vers midi, un cortĂšge relativement modeste d’environ 6 000 personnes, dont 600 gardes nationaux ayant Ă  leur tĂȘte Etienne Arago, chef de bataillon de la 3e lĂ©gion, se forme au ChĂąteau-d’Eau, sur le boulevard du Temple, et marche en direction de l’AssemblĂ©e nationale « afin de lui rappeler le respect dĂ» Ă  la constitution », aux cris de : « Vive la Constitution ! ».
Une heure plus tard, le gĂ©nĂ©ral Changarnier, commandant de l’armĂ©e de Paris et des gardes nationaux de la Seine, Ă  la tĂȘte de dragons, gendarmes mobiles et chasseurs Ă  pied, arrivant par la rue de la Paix, disperse les manifestants qui se rĂ©pandent dans les rues voisines.
Ledru-Rollin et une trentaine de dĂ©putĂ©s, rĂ©unis au 6 rue du Hasard (aujourd’hui rue ThĂ©rĂšse, partie comprise entre les rues Sainte-Anne et Richelieu), sous les fenĂȘtres desquels retentissent les « Aux Armes ! » que crient les manifestants pourchassĂ©s, dĂ©cident de gagner l’état-major de l’artillerie de la garde nationale, au Palais-Royal, pour s’assurer le concours de Guinard, colonel de l’artillerie de la garde nationale, et de ses 400 hommes.
Ils avancent, Ă©crira Marx plus tard, « au cri de “Vive la Constitution !” poussĂ© avec mauvaise conscience, de façon mĂ©canique, glaciale, par les membres du cortĂšge eux-mĂȘmes, et renvoyĂ© ironiquement par l’écho du peuple massĂ© sur les trottoirs, au lieu de s’enfler tel le tonnerre ». Les dĂ©putĂ©s ceints de leur Ă©charpe vont vers le Conservatoire national des arts et mĂ©tiers. Vers 14 h 30, Ledru-Rollin parvient Ă  se faire ouvrir les portes de l’établissement et une proclamation constituant un gouvernement provisoire y est signĂ©e.
On ressort des Arts-et-MĂ©tiers pour aller “au-devant de l’armĂ©e pour l’encourager Ă  se joindre Ă  nous”, se souviendra Martin Nadaud. Trois pauvres barricades sont improvisĂ©es rue Saint-Martin pour gĂȘner la cavalerie, et la troupe arrĂȘte les dĂ©putĂ©s sans que la foule rĂ©agisse plus que ça. Ils sont conduits au poste de la garde nationale, dont Martin Nadeau s’échappe, avec deux autres camarades, en enjambant la fenĂȘtre qui donne sur la rue Saint-Martin. Il va se rĂ©fugier, Ă  la barriĂšre de l’Étoile, chez madame Cabet. Ledru-Rollin parviendra Ă  gagner Londres pour un exil de plus de vingt ans.

« L’éruption colossale » prĂ©vue aura Ă©tĂ© la derniĂšre journĂ©e rĂ©volutionnaire de la DeuxiĂšme RĂ©publique quand Jenny rejoint Marx Ă  Paris avec les trois enfants et Lenchen, le 7 juillet. Jenny est enceinte pour la quatriĂšme fois et la grossesse ne se passe pas bien. Marx est arrivĂ© sans le sou, il l’est toujours. DĂšs le 13 juillet, il lance des appels au secours, explique que les derniers bijoux de sa femme sont dĂ©jĂ  au mont-de-piĂ©tĂ©, qu’il pourrait peut-ĂȘtre tirer, dans un dĂ©lai raisonnable, 3 000 ou 4 000 francs d’une deuxiĂšme Ă©dition de sa brochure contre Proudhon, (MisĂšre de la philosophie), qui “commence Ă  prendre ici”, mais qu’il faudrait pour cela racheter d’abord les exemplaires de la premiĂšre encore disponible Ă  Bruxelles et Ă  Paris. Il Ă©crit aussi Ă  Ferdinand Lassalle, qui lancera une collecte publique, sans aucune discrĂ©tion, Ă  la grande colĂšre de Marx : « Je prĂ©fĂšre la plus grande gĂȘne Ă  la mendicitĂ© publique. » Et rien n’est rĂ©glĂ© quand, le 19 juillet, Marx reçoit du prĂ©fet de police une assignation Ă  rĂ©sidence dans le Morbihan. Sa rĂ©clamation auprĂšs du ministre de l’IntĂ©rieur est refusĂ©e le 16 aoĂ»t.
Le 13 aoĂ»t, l’armĂ©e hongroise a capitulĂ©. AprĂšs la reddition de Venise, le 22 aoĂ»t 49, il n’existe plus dans l’empire d’Autriche un seul gouvernement insurrectionnel.
Le 23 aoĂ»t 1849, un officier de police se prĂ©sente rue de Lille pour signifier aux Marx qu’ils doivent s’exĂ©cuter dans les vingt-quatre heures. Marx Ă©crit alors Ă  Engels que son exil dans “les marais Pontins de Bretagne”, qu’il considĂšre comme une tentative de meurtre camouflĂ©e, lui fait juger prĂ©fĂ©rable de quitter la France, et qu’il a pour perspective de fonder un journal allemand Ă  Londres, oĂč il lui donne rendez-vous. Marx quitte Paris le 24 aoĂ»t, Jenny et les enfants ont reçu l’autorisation d’y rester jusqu’au 15 septembre.
On a des photos des Marx Ă  compter de 1865
   
Les derniers séjours parisiens

Si la vie des Marx est dĂ©sormais anglaise, ses deux filles aĂźnĂ©es ayant convolĂ© avec des Français, on reverra Marx Ă  Paris, et dans sa banlieue. Laura, nĂ©e le 26 septembre 1845 Ă  Bruxelles, Ă©pousera la premiĂšre, Ă  l’ñge de 23 ans et aprĂšs deux annĂ©es de fiançailles, un Français, Paul Lafargue, le 2 avril 1868. Jenny en Ă©pousera un autre, Charles Longuet, ciseleur sur bronze ; « Le dernier proudhonien et le dernier bakouniniste, que le diable les emporte ! », comme pestera papa Marx dans une lettre Ă  Engels. Le dernier bakouniniste, c’est Ă©videmment Paul Lafargue, Longuet, lui, ayant eu le bon goĂ»t de voter l’exclusion de Bakounine de la 1Ăšre Internationale (le 7 septembre 1872) entre ses fiançailles, en mars, et son mariage, le 2 octobre... ce qui en fait le dernier proudhonien.
Jennychen, future Mme Longuet, et Laura déjà Mme Lafargue en 1869

Les Lafargue sont partis en voyage de noces en France le jour mĂȘme de leur mariage, puis s’y sont installĂ©s le 15 octobre, 25 rue des Saints PĂšres. Ils ont dĂ©mĂ©nagĂ© au 47 rue du Cherche-Midi juste avant la naissance de leur premier enfant, Charles-Etienne, le 1er janvier 1869. Marx vient leur rendre visite du 6 au 12 juillet, en descendant dans un hĂŽtel de la rue Saint-Placide sous la fausse identitĂ© de M. Williams. Il est prĂ©occupĂ© par la santĂ© fragile de Laura, tente de persuader son gendre d’achever ses Ă©tudes de mĂ©decine, et est venu discuter aussi d’une traduction française du Capital. Pour ce qui est de celle du Manifeste par Laura, revue par Paul, elle vient d’ĂȘtre ramenĂ©e Ă  Londres par Jenny quand celle-ci, Ă  la suite de Jennychen et d’Eleanor est venue voir le bĂ©bĂ©, Ă  Paris.
Puis vient la Commune, et l’exil qui ramĂšne les filles Marx auprĂšs de leurs parents. Les Longuet regagnent la France aprĂšs l’amnistie de 1880. A l’étĂ© de l’annĂ©e suivante, Marx et Jenny, dĂ©jĂ  malade, accompagnĂ©s de Lenchen, visitent les Longuet et dĂ©couvrent le petit Marcel, nĂ© trois mois plus tĂŽt au 11 bd Thiers (auj. Karl Marx) Ă  Argenteuil, alors que ses aĂźnĂ©s avaient dĂ©jĂ  4, 2 et 1 an quand leurs parents ont quittĂ© l’Angleterre. Mais Marx rentre prĂ©cipitamment Ă  Londres Ă  l’annonce de la dĂ©pression nerveuse d’Eleanor.
AprĂšs la mort de Jenny, au dĂ©but de dĂ©cembre, Marx, qui en est tombĂ© malade, passe Ă  nouveau par Argenteuil, en fĂ©vrier 1882, sur le chemin de Marseille oĂč il doit embarquer pour l’AlgĂ©rie et son soleil guĂ©risseur. À son retour, le 7 juin, sans barbe et sans criniĂšre de prophĂšte, sacrifiĂ©es Ă  la chaleur algĂ©roise,
DerniÚre photo (1882) avant le rasage pour ses filles qui l'aiment en pÚre Noël
il se voit conseiller les eaux d’Enghien oĂč il suivra une cure en juillet. Les Lafargue s’installent au 66 bd de Port Royal au dĂ©but d’aoĂ»t et Marx sĂ©journe Ă  leur nouveau domicile avant de rentrer Ă  Londres fin septembre. C’est donc retour de chez ses gendres qu’il les qualifie, dans une lettre Ă  Engels du 11 novembre, de dernier des bakouninistes et de dernier des proudhoniens.
Le 12 janvier 1883 lui parvient la nouvelle de la mort de Jennychen et il envoie Eleanor à Argenteuil aider à garder les enfants de sa sƓur. "Le Maure", comme on l’appelle depuis sa jeunesse, meurt le 14 mars.

Le 1er mai 1890, Engels est au rassemblement de la place de la Concorde oĂč l’on revendique la rĂ©duction du temps de travail. “Que Marx n’est-il Ă  cĂŽtĂ© de moi, pour voir cela de ses propres yeux” Ă©crit Engels, qui rappelle que cette revendication de la journĂ©e lĂ©gale de travail Ă  8 heures avait Ă©tĂ© “proclamĂ©e dĂšs 1866 par le congrĂšs de l’Internationale Ă  GenĂšve”.
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